Belles rencontres autour d'une juste distinction
Mon ami Eric de Kermel, responsable de la belle revue " Terre Sauvage " recevant la Légion d'Honneur des mains de Nicolas Hulot.
Avec Nicolas Hulot, Ministre d'Etat et Dominique Granier, président de la chambre d'agriculture du Gard.
Yann Arthus Bertrand, Eric de Kermel, Cyril Dyon, M. XXX et Jacques Lemarchant,fondateur de Nature Découverte.
Discours de M. le Ministre d'Etat Nicolas Hulot
Paris – 6 avril 2018
Avec Nicolas Hulot, Ministre d'Etat et Dominique Granier, président de la chambre d'agriculture du Gard.
Yann Arthus Bertrand, Eric de Kermel, Cyril Dyon, M. XXX et Jacques Lemarchant,fondateur de Nature Découverte.
Discours de M. le Ministre d'Etat Nicolas Hulot
MINISTERE DE LA TRANSITION ECOLOGIQUE ET SOLIDAIRE
LE MINISTRE D’ETAT
Discours ONM Eric de Kermel
A PARIS, LE 04/04
Cher Eric de Kermel,
Quel plaisir pour moi de te décerner cette récompense. Je pense qu’on peut le dire, ton parcours doit être reconnu car il est singulier et sans pareil. Je ne dirais pas « à en faire rougir plus d’un », car dans le fond chaque parcours de vie est unique et incomparable. Mais tes expériences, qu’elles soient personnelles ou professionnelles, témoignent d’une réelle force de vie, d’une intelligence reconnue, partout où vous êtes passé, et d’un dévouement certain au service de l’intérêt général.
Chacun de ceux qui sont présent aujourd’hui le savent, tu vis pour tes convictions, tu vis pour tes valeurs et non pour une quelconque reconnaissance, une quelconque médaille. Tu disais même à propos de l’un de tes écrits : « Je n'ai pas du tout écrit ce livre dans l'optique d'être édité. En dehors de mon travail de journaliste, j'écris pour le plaisir ». Ecrire, faire par plaisir et non par quête de gratitude : pour moi c’est une force, une forme de prise de hauteur.
Ce qui te caractérise aussi, c’est ta simplicité, la manière dont tu vois la vie, dont tu la vis au quotidien avec ta famille, tes proches. Car tout le monde pour toi est un proche, dans la mesure où tu ne cherches jamais la confrontation, tu n’es jamais dans le jugement, mais toujours dans l’écoute, le dialogue, la compréhension et le respect. Et ça, c’est inestimable.
J’irais même plus loin, je dirais que tu es un radical en humanité, et, tu le sais, c’est pour moi un pilier, si ce n’est la base de l’écologie. Ton écologie, tu le dis, elle tisse trois liens : le rapport à soi, le rapport aux autres, le rapport à la nature. Et je pense que ça devrait être l’écologie de tous.
Toutes ces valeurs qui te définissent, tu les retranscris dans tes combats. Et, à l’évidence, tu t’es toujours battu, tu te bats encore et te battras sûrement demain pour une démocratie renouvelée sincèrement écologiste et profondément humaniste.
Ton premier combat, évidemment, c’est celui de la conservation de la nature. Ta relation à la terre, tu la vis quotidiennement dans ton jardin, ou très régulièrement sur les sentiers de Provence et sur la côte bretonne. Parait-il, tu fais voler des cerfs-volants avec tes enfants, les yeux tournés vers le ciel.
Puisque tu cultives tes convictions au-delà de ton jardin, tu t’impliques aussi à plus grande échelle. Tu es à l’origine de la fête de la Nature, qui irrigue depuis 2006 nos pratiques et sensibilise nombre de citoyens. Tu as longtemps été vice-président du comité français de l’UICN, spécialiste des questions de communication et de sensibilisation du grand public aux enjeux de la biodiversité.
Une chose est sûre, ce combat est plus que jamais d’actualité ! Je regrette d’ailleurs, et je l’ai dit, le si peu d’intérêt que porte parfois la société à la biodiversité, à la contemplation et à l’émerveillement de notre patrimoine naturel.
Comment l’expliquer ? Comment expliquer cette désynchronisation, ce désintérêt ? Peut-être que le succès de la science nous a délié de tout et nous a jeté dans une sorte d’ivresse, de trompe-l’œil présupposant que les lois humaines pouvaient se désolidariser des lois de la nature.
« Science sans conscience n’est que ruine de l’âme », disait Rabelais. Si l’on n’interroge pas le sens des choses, pour savoir lesquelles de nos décisions participent à la solution, au progrès et à l’épanouissement, alors on va dans le mur.
C’est donc avec toi, et d’autres, que nous avions organisé le sommet des consciences à Paris en 2015 avant la COP 21. Tu étais d’ailleurs intervenu sur Europe 1 à ma place, tu ne t’y attendais pas puisque je devais intervenir mais je ne m’étais pas réveillé, tu t’en souviens sûrement. Je prépare désormais un nouveau sommet des consciences et un sommet des peuples autochtones en 2019. Nous avons en commun la conviction qu’il faut mobiliser les religions, sagesses et philosophies du Monde entier. Nous avons la conviction qu’avant de parler de technique, de science et d’économie, il nous faut nous situer sur un autre plan qu’est celui de la conscience qui va bien au-delà de la politique, qui fait appel à son for intérieur. Cette conscience est le meilleur levier pour un changement qui soit d’abord individuel.
Commencer par soi, avant de penser aux autres. C’est aussi ça qui t’anime : la cohérence dans tes propos, dans tes actes. C’est, je dirais, un autre pilier de l’écologie que tu portes en toi. Tu cherches en permanence à t’appliquer à toi-même ce que tu attends des autres. Au-delà de toi, tu dis même que « l’occident a consommé sa part d’atmosphère, qu’on ne peut pas demander d’abord aux autres pays de se mobiliser ».
Tu es à cet égard partisan et convaincu que la transition doit être écologique et solidaire, et si l’on oublie ce second pilier, la transition ne sera pas. Surtout quand on sait que la crise climatique détériore prioritairement les conditions de vie des plus démunis. En cela, elle ajoute de l’injustice à l’injustice, de la vulnérabilité à la vulnérabilité, et de la souffrance à la souffrance. Ça te fait bouillir, mais tu ne tombes ni dans la violence, ni dans la résignation. Tu fais partie de ces hommes qui se lèvent pour des revendications d’égalité et de justice, dans la paix et le respect et avec espoir de faire bouger les lignes. Je pense par exemple au projet Osons demain que tu as initié avec Pascale Rossler : fédérer des sensibilités différentes autour d’une même cause pour être plus fort, tel est en quelque sorte ton crédo.
Ta manière de combattre ces injustices, elle passe notamment par le journalisme et la littérature. Tu es directeur de Bayard Nature et territoire. En tant que journaliste, tu dis aimer écrire court, choisir des mots simples pour raconter des histoires sans les diluer. Tu recherches le vrai, la simplicité et l’honnêteté.
C’est aussi l’angle de ton premier roman « La libraire de la place aux herbes ». Plusieurs chapitres, plusieurs histoires évoquent avec amour, empathie, respect et tendresse la vie de plusieurs protagonistes, tous liés par ce beau lieu qu’est la librairie.
Cette librairie, c’est celle d’Uzès. C’est dans cette ville du Gard que tu partages ta vie avec tes amis. Un brin de campagne, toujours pour t’épauler, et un brin de voyage pour t’accompagner. Tu étais peut-être prédestiné à cet équilibre qui t’est nécessaire entre campagne et voyages, toi qui es né dans cette magnifique île qu’est la Corse, et qui as passé ton enfance entre le Maroc et l’Amérique du Sud.
Depuis, tu cherches en permanence le lien à la culture, à la nature. Je dirais même que culture et nature te caractérisent. Tu penses que nous devons retrouver une double ambition : garantir à nos contemporains un meilleur accès à la nature et à la culture parce que la nature répare celui qui est blessé et la culture lui offre d’autres horizons, des possibles qui s’ouvrent, des idées qui font grandir.
Dans cette veine, tu as déjà plein de projets en préparation : pour n’en citer que deux, la conférence sur les sommets durables pour classer les sommets mondiaux à l’UNESCO, ou encore la préparation d’un nouveau livre Ana terre vivante. Que de beaux projets, plein de sens.
Pour finir sur une belle note, je voudrais rappeler cette citation de Dostoïevski : « la beauté sauvera le monde ». Tu l’apprécies, et à juste titre, car elle te fait vivre en quelque sorte et elle résume bien ce que tu portes.
Je pense que nous pouvons maintenant en venir au moment formel.
Au nom du Président de la République, en vertu des pouvoirs qui me sont conférés, je vous fais, Mr Eric de Kermel, chevalier de la légion d’honneur.
Discours de M. Eric de KermelQuel plaisir pour moi de te décerner cette récompense. Je pense qu’on peut le dire, ton parcours doit être reconnu car il est singulier et sans pareil. Je ne dirais pas « à en faire rougir plus d’un », car dans le fond chaque parcours de vie est unique et incomparable. Mais tes expériences, qu’elles soient personnelles ou professionnelles, témoignent d’une réelle force de vie, d’une intelligence reconnue, partout où vous êtes passé, et d’un dévouement certain au service de l’intérêt général.
Chacun de ceux qui sont présent aujourd’hui le savent, tu vis pour tes convictions, tu vis pour tes valeurs et non pour une quelconque reconnaissance, une quelconque médaille. Tu disais même à propos de l’un de tes écrits : « Je n'ai pas du tout écrit ce livre dans l'optique d'être édité. En dehors de mon travail de journaliste, j'écris pour le plaisir ». Ecrire, faire par plaisir et non par quête de gratitude : pour moi c’est une force, une forme de prise de hauteur.
Ce qui te caractérise aussi, c’est ta simplicité, la manière dont tu vois la vie, dont tu la vis au quotidien avec ta famille, tes proches. Car tout le monde pour toi est un proche, dans la mesure où tu ne cherches jamais la confrontation, tu n’es jamais dans le jugement, mais toujours dans l’écoute, le dialogue, la compréhension et le respect. Et ça, c’est inestimable.
J’irais même plus loin, je dirais que tu es un radical en humanité, et, tu le sais, c’est pour moi un pilier, si ce n’est la base de l’écologie. Ton écologie, tu le dis, elle tisse trois liens : le rapport à soi, le rapport aux autres, le rapport à la nature. Et je pense que ça devrait être l’écologie de tous.
Toutes ces valeurs qui te définissent, tu les retranscris dans tes combats. Et, à l’évidence, tu t’es toujours battu, tu te bats encore et te battras sûrement demain pour une démocratie renouvelée sincèrement écologiste et profondément humaniste.
Ton premier combat, évidemment, c’est celui de la conservation de la nature. Ta relation à la terre, tu la vis quotidiennement dans ton jardin, ou très régulièrement sur les sentiers de Provence et sur la côte bretonne. Parait-il, tu fais voler des cerfs-volants avec tes enfants, les yeux tournés vers le ciel.
Puisque tu cultives tes convictions au-delà de ton jardin, tu t’impliques aussi à plus grande échelle. Tu es à l’origine de la fête de la Nature, qui irrigue depuis 2006 nos pratiques et sensibilise nombre de citoyens. Tu as longtemps été vice-président du comité français de l’UICN, spécialiste des questions de communication et de sensibilisation du grand public aux enjeux de la biodiversité.
Une chose est sûre, ce combat est plus que jamais d’actualité ! Je regrette d’ailleurs, et je l’ai dit, le si peu d’intérêt que porte parfois la société à la biodiversité, à la contemplation et à l’émerveillement de notre patrimoine naturel.
Comment l’expliquer ? Comment expliquer cette désynchronisation, ce désintérêt ? Peut-être que le succès de la science nous a délié de tout et nous a jeté dans une sorte d’ivresse, de trompe-l’œil présupposant que les lois humaines pouvaient se désolidariser des lois de la nature.
« Science sans conscience n’est que ruine de l’âme », disait Rabelais. Si l’on n’interroge pas le sens des choses, pour savoir lesquelles de nos décisions participent à la solution, au progrès et à l’épanouissement, alors on va dans le mur.
C’est donc avec toi, et d’autres, que nous avions organisé le sommet des consciences à Paris en 2015 avant la COP 21. Tu étais d’ailleurs intervenu sur Europe 1 à ma place, tu ne t’y attendais pas puisque je devais intervenir mais je ne m’étais pas réveillé, tu t’en souviens sûrement. Je prépare désormais un nouveau sommet des consciences et un sommet des peuples autochtones en 2019. Nous avons en commun la conviction qu’il faut mobiliser les religions, sagesses et philosophies du Monde entier. Nous avons la conviction qu’avant de parler de technique, de science et d’économie, il nous faut nous situer sur un autre plan qu’est celui de la conscience qui va bien au-delà de la politique, qui fait appel à son for intérieur. Cette conscience est le meilleur levier pour un changement qui soit d’abord individuel.
Commencer par soi, avant de penser aux autres. C’est aussi ça qui t’anime : la cohérence dans tes propos, dans tes actes. C’est, je dirais, un autre pilier de l’écologie que tu portes en toi. Tu cherches en permanence à t’appliquer à toi-même ce que tu attends des autres. Au-delà de toi, tu dis même que « l’occident a consommé sa part d’atmosphère, qu’on ne peut pas demander d’abord aux autres pays de se mobiliser ».
Tu es à cet égard partisan et convaincu que la transition doit être écologique et solidaire, et si l’on oublie ce second pilier, la transition ne sera pas. Surtout quand on sait que la crise climatique détériore prioritairement les conditions de vie des plus démunis. En cela, elle ajoute de l’injustice à l’injustice, de la vulnérabilité à la vulnérabilité, et de la souffrance à la souffrance. Ça te fait bouillir, mais tu ne tombes ni dans la violence, ni dans la résignation. Tu fais partie de ces hommes qui se lèvent pour des revendications d’égalité et de justice, dans la paix et le respect et avec espoir de faire bouger les lignes. Je pense par exemple au projet Osons demain que tu as initié avec Pascale Rossler : fédérer des sensibilités différentes autour d’une même cause pour être plus fort, tel est en quelque sorte ton crédo.
Ta manière de combattre ces injustices, elle passe notamment par le journalisme et la littérature. Tu es directeur de Bayard Nature et territoire. En tant que journaliste, tu dis aimer écrire court, choisir des mots simples pour raconter des histoires sans les diluer. Tu recherches le vrai, la simplicité et l’honnêteté.
C’est aussi l’angle de ton premier roman « La libraire de la place aux herbes ». Plusieurs chapitres, plusieurs histoires évoquent avec amour, empathie, respect et tendresse la vie de plusieurs protagonistes, tous liés par ce beau lieu qu’est la librairie.
Cette librairie, c’est celle d’Uzès. C’est dans cette ville du Gard que tu partages ta vie avec tes amis. Un brin de campagne, toujours pour t’épauler, et un brin de voyage pour t’accompagner. Tu étais peut-être prédestiné à cet équilibre qui t’est nécessaire entre campagne et voyages, toi qui es né dans cette magnifique île qu’est la Corse, et qui as passé ton enfance entre le Maroc et l’Amérique du Sud.
Depuis, tu cherches en permanence le lien à la culture, à la nature. Je dirais même que culture et nature te caractérisent. Tu penses que nous devons retrouver une double ambition : garantir à nos contemporains un meilleur accès à la nature et à la culture parce que la nature répare celui qui est blessé et la culture lui offre d’autres horizons, des possibles qui s’ouvrent, des idées qui font grandir.
Dans cette veine, tu as déjà plein de projets en préparation : pour n’en citer que deux, la conférence sur les sommets durables pour classer les sommets mondiaux à l’UNESCO, ou encore la préparation d’un nouveau livre Ana terre vivante. Que de beaux projets, plein de sens.
Pour finir sur une belle note, je voudrais rappeler cette citation de Dostoïevski : « la beauté sauvera le monde ». Tu l’apprécies, et à juste titre, car elle te fait vivre en quelque sorte et elle résume bien ce que tu portes.
Je pense que nous pouvons maintenant en venir au moment formel.
Au nom du Président de la République, en vertu des pouvoirs qui me sont conférés, je vous fais, Mr Eric de Kermel, chevalier de la légion d’honneur.
Paris – 6 avril 2018
Légion d’honneur
Monsieur le Ministre d’Etat,
Cher Nicolas Hulot,
Madame et Messieurs les Ministres,
Monsieur le Président du Conseil de surveillance de Bayard
Madame et Messieurs les membres du Directoire,
Chers Pascal Ruffenach, Florence Guémy, André Antoni, Alain Augé
Chers amis de Bayard et d’ailleurs,
Chers membres de ma famille,
Merci à vous tous d’être là ce soir. Je remercie ceux qui ont bravé les grèves et j’ai une pensée pour tous ceux qui n’ont pu venir à cause d’elles.
Afin de partager les honneurs de la république avec ceux qui m’ont accompagné et sans qui je ne serai pas là, j’ai été heureux que le Directoire me propose que cette cérémonie se déroule chez Bayard.
Merci Violaine Chaurand et Eric Lamotte, d’avoir préparé ce moment.
Que ce soit au sein des Scouts et guides de France, du Conservatoire du Patrimoine Naturel de la Savoie, de l’UICN, de la Fondation Petzl, de Prima Vera ou de Bayard, j’ai toujours considéré la qualité du collectif comme la garantie de réussite des plus belles aventures.
Si je suis aujourd’hui ici devant vous, considérez que ce sont tous ces collectifs au sein desquels je me suis épanoui qui sont également honorés.
Lorsque j’étais enfant je rêvais de devenir garde dans un parc national. Une professeur de mathématiques considérant mes médiocres résultats dans les sciences dures et les trop bons dans les matières littéraires, a modifié mes plans.
En prenant la responsabilité de Terre sauvage, j’ai mis vingt ans à retrouver le chemin de mon rêve, devenant le garde d’un parc naturel planétaire de papier …
Aux côtés d’Olivier Thévenet, mon complice depuis tant d’années, je me suis alors retrouvé sur le front. Emerveillé par les images des photographes du monde entier mais aussi interpellé par les rapports des scientifiques qui étayent les propos de nos articles.
J’ai aussi été sur le terrain. J’ai vu ce que tu as vu Nicolas, ce que tu vous avez vu Yann Arthus-Bertrand et François Letourneux, ce que tous nos amis naturalistes constatent également.
J’ai vu, à l’autre bout du monde comme en France, à hauteur de temps de la vie d’un homme, le massacre.
Je n’ai pas fait que le voir, je l’ai ressenti de tous mes sens.
Les espaces agricoles qui ne sentent plus la terre car la terre est morte.
Les prairies où les fleurs se comptent sur les doigts d’une main.
Où, quand on s’allonge, on ne voit plus la sauterelle se balancer au bout des graminées.
J’ai entendu le silence assourdissant des forêts, des garrigues, des campagnes où les oiseaux ne chantent plus.
J’ai cessé de nager dans les eaux du littoral méditerranéen où les herbiers de posidonies sont devenus des dépotoirs.
C’est une honte quand le Pacifique accueille désormais une décharge de plastiques dont la superficie fait trois fois la France !
Quand un sportif reçoit une médaille, c’est qu’il a gagné la course, ou qu’il a fini dans les trois premiers …
Où est la victoire …
C’est la raison pour laquelle je ne peux vivre ce moment avec légèreté alors que chaque jour qui passe, malgré l’énergie déployée par tant d’amoureux de la nature, l’effondrement de la biodiversité s’accélère.
Il y a quelques jours encore le Muséum nous indiquait qu’en seulement 15 ans un tiers de nos oiseaux des campagnes a disparu. Ce déclin s'est encore accru ces deux dernières années, et il n'est qu'un des indicateurs de l'hémorragie d'une chaîne alimentaire dont certains maillons comme les insectes en sont à -80%.
Je vous invite à lire les mots de Frédéric Boyer en dernière page du numéro de La Croix que vous trouverez dans cette salle. Ses mots nous interpellent bien mieux que je le ferai sur ce que signifie, théologiquement, un ciel vide …
Chaque annonce de ce type me bouleverse réellement.
Et je ressens comme Nicolas Hulot cette honte qui a valu son interpellation aux parlementaires.
Ma veste est rouge à l’image de la liste des espèces de l’UICN qui ne cesse de ralonger.
Malgré cela, nous continuons à écrire, à témoigner, à nous battre.
Chacun là où il est, certains avec les becs d’un colibri d’autres avec ceux d’un pélican … Mais le feu se propage et la maison brûle toujours.
Alors, pourquoi continuons-nous ?
Sans doute parce que l’humain, et le chrétien en fait même un socle de sa Foi, ne peut vivre sans espérance.
Et pourtant, comme l’écrit toujours le même Frédéric Boyer dans son dernier livre, « celui qui veut être fidèle à ses espoirs doit se faire incessamment infidèle à toutes ses déceptions, à tous les retards, atermoiements, obstacles, murs et impasses qui se dressent sur son chemin d’espoir »
N’est-ce pas Nicolas ?
Malgré mon optimisme, qui tient d’abord de ma volonté, je ne crois plus aux compromis que nous cherchons encore à opérer entre notre modèle de développement libéral et la protection de la nature.
Je suis choqué quand la civilisation née des lumières considère les indicateurs boursiers comme son bulletin de santé.
Et j’ai bien peur que la flèche de l’évolution, chère à Teilhard de Chardin pointe désormais trop souvent vers le sol.
N’en sommes-nous pas venus à espérer l’espérance …
Permettez-moi d’emprunter les mots de Patrick de Wever, géologue du Muséum d’histoire naturelle pour bien illustrer ce qui s’est passé …
Imaginez que nous considérions la terre, notre mère nourricière, comme une planète âgée de 46 ans.
Une planète où chaque année compterait pour 100 millions d’années
A 44 ans les dinosaures se dandinaient à sa surface.
Ils sont morts il y a 8 mois et leur place est alors prise par les mammifères.
Depuis deux semaines seulement de grands singes anthropoïdes ont fait leur apparition.
La semaine dernière se sont avancés les glaciers qui se sont retirés il y a 40 minutes.
Mais 4 heures se sont écoulées depuis qu’une nouvelle espèce, qui s’est baptisée elle-même Homo sapiens, a commencé à chasser les autres animaux.
Durant la dernière heure, elle a inventé l’agriculture et s’est fixée.
Il y a 15 minutes Moïse a conduit son peuple en sécurité en traversant la mer rouge et environ 5 minutes plus tard Jésus prêchait sur une montagne.
Une minute avant que la terre ait 46 ans, l’homme a commencé sa révolution industrielle. Pendant cette minute il a prodigieusement multiplié ses compétences et surexploité la planète pour son métal et son énergie.
Fin de citation.
Nous en sommes là.
Depuis 1 minute, sur 46 ans, nous sommes entrés dans l’anthropocène, cette ère nouvelle où les activités humaines ont modifié le cours de l’évolution de notre planète.
Et si nous regardions la nature à la façon dont Lévinas nous invite à une éthique fondée sur l’altérité.
La nature comme le visage d’une création dont nous sommes autant responsable que nous en sommes une des parties.
A nous, plus particulièrement chrétien, comment se fait-il que cette question de la protection de la nature ne soit pas un intégré.
La nature n’est-elle pas cette création dont la Bible nous dit qu’elle est une œuvre divine, donc sacrée !
La biodiversité, ce combat pour la biodiversité qui est au cœur de mon engagement, est donc d’abord un combat éthique et spirituel avant d’être aussi celui pour un morceau de tissu.
Un tissu qui ressemble à l’humus de la terre, cette fragile couche de 5 centimètres qui enveloppe notre planète et sans laquelle aucune vie ne serait possible.
Il y a une minute, pour reprendre l’image de Patrick de Wewer, ce tissu dont nous sommes un fil parmi tous ceux qui composent la trame du vivant, ce tissu ressemblait à un magnifique chandail islandais aux mailles tissées serrées.
Aujourd’hui, nous avons toujours l’illusion qu’un tissu recouvre notre nudité mais il ressemble au jean de ma fille, où, de part en part, on commence à voir le jour.
« Les systèmes tiennent souvent plus longtemps qu’on ne le pense, mais ils finissent par s’effondrer beaucoup plus vite qu’on ne l’imagine ». Cette citation n’est pas celle d’un écolo mais de Kenneth Rogoff, ancien chef économiste du FMI.
Nous sommes les témoins de cet effondrement.
Alors, me direz-vous, que fait-on ?
Nous n’avons d’autre solution que d’utiliser l’énergie la plus puissante qui soit.
Une énergie renouvelable et qui ne demande qu’à être mobilisée car elle dort en chacun de nous.
Une énergie qui produit des résultats bien au-delà de ceux que nous espérons.
Une énergie qui convoque le meilleur de chacun et dont parfois les plus pauvres sont les mieux nantis.
Je veux parler de l'amour.
Ou, pour reprendre une notion qui est au cœur de l’encyclique du Pape François, je veux parler d’écologie intégrale.
Avant lui, Patrick Viveret, Edgar Morin ou Pierre Rabhi, dont je revendique la filiation intellectuelle, avaient déjà mis en avant ce cercle vertueux.
Il s’agit en réalité de reprendre les choses dans l’ordre :
Le chemin de l’écologie est un chemin qui commence par soi-même. Prendre soin de soi revient à considérer avec bienveillance qui nous sommes.
Prendre garde à ce que nous mettons dans notre bouche comme aux mots que nous mettons dans notre tête, être attentif à ce qui compose nos jours et nos nuits, nos équilibres.
Déceler ce qui nous rend triste ou nous rend joyeux.
Oser apprivoiser nos fragilités au lieu de chercher à les taire.
Mais ce chemin manque d’horizon quand il s’arrête aux frontières de soi et c’est vers les autres que rapidement nos gestes et nos mots se tournent.
Ces autres qui sont de notre famille, qui habitent notre rue, avec qui nous travaillons ou qui traversent la Méditerranée.
Il est si simple de faire naître de la lumière quand deux regards se croisent.
Le lien à soi, le lien aux autres, le lien à la nature sont les trois liens qui tissent ce fil d’or cher à Abdenour Bidar et qui dessinent une perspective de cohérence, donc de joie.
C’est en nourissant ces liens que nous inventerons comment habiter autrement la planète et que nous trouverons là où notre cœur nous attend.
Et c’est bien cette histoire que raconte le film Demain.
Ce film qui a redonné des couleurs a toute une génération.
Loin des incantations, Cyril Dion nourrit le récit d’un « C’est possible ! » qui devient à portée de chacun.
Jamais on ne te remerciera assez Cyril d’avoir fait exister ce « c’est possible » !
Mais, comme l’indique Gamaliel dans le Talmud, n’est-ce pas par leurs espoirs que les hommes ne sont pas seulement voués à rester poussière.
Depuis sa naissance, le petit humain est le plus dépendant des mammifères. Il se nourrit, se construit, s’épanouit uniquement grâce à la qualité des liens qu’il créé. Des liens qui libèrent …
J’ai l’immense conscience de n’être qu’une boule de liens, de ces liens que j’ai avec vous et qui me font être qui je suis.
Je n’en serai pas arrivé là si vous ne m’aviez pas accordé votre temps, vos regards, votre amour.
Je voudrais vous remercier.
Je ne peux vous citer tous mais il y a quand même des incontournables …
Mijo et Yves Beccaria, Bernard Porte, Dominique Bénard, les années ont passé mais je vous suis reconnaissant pour la qualité de votre accueil alors que je rentrais dans cette maison.
Père Zago et Père Antoni, vous êtes des gens incroyables.
Combien sommes-nous à pouvoir vivre au sein de cette entreprise au plus près de nos convictions profondes, nourris de vos mots inspirés qui façonnent Bayard d’une façon unique.
Au travers vous, je remercie les assomptionnistes dont l’attachement à Bayard assure notre indépendance.
Cher André Antoni, cher Dominique Lang, merci pour votre complicité sur le terrain particulier de l’écologie où l’encyclique du Pape François est venue raviver nos élans.
Je suis très reconnaissant au Directoire de Bayard de m’accorder toujours sa confiance pour conduire de nouvelles missions.
Je salue les équipes que j’anime. Celle de Terre sauvage bien entendu mais aussi celles de Toulouse de Chambéry ou de Brest.
Ce que nous essayons d’offrir à nos lecteurs dans les pages de nos magazines conjugue émerveillement et protection, solidarité et engagement.
Merci à Agnès Rochefort Turquin de nous avoir accompagné dans l’évolution de nos projets éditoriaux mais aussi merci à toi d’être ce que tu es.
Je voudrais témoigner d’une grande tendresse et de beaucoup de reconnaissance aux membres du Club Terre sauvage Terre des Hommes.
Vous permettez à Terre sauvage de poursuivre sa mission.
Qu’il est fort ce lien qui préside à nos échanges !
Et comme je vous admire !
Chacun d’entre vous a créé son entreprise, sa fondation, et quelles entreprises !
Merci à toi, François Lemarchand de m’avoir accompagné dans la naissance de ce club et tout au long de ces années.
Je voudrais saluer mes compagnons d’altitude, ceux avec qui je partage cet amour de la montagne où mon cœur bat plus vite :
Paul Petzl, et au travers lui le Conseil d’administration de sa fondation. Vous n’imaginez pas comme le monde est magnifique au dessus de mille mètres !
Merci Thierry Repentin et Hervé Gaymard pour votre présence ce soir.
Je voudrais aussi vous dire combien le scoutisme a été l’école majeure de ma vie.
Vous êtes nombreux à avoir partagé avec moi le bonheur d’être scout, et à porter haut les couleurs de ce mouvement.
Merci chère Marie Abrassart, ancienne cheftaine d’Artur et d’Elise, désormais Présidente du mouvement des Scouts et guides de France.
Merci Antoine Dullin, qui fut également chef de mes enfants et qui t’illustres dans bien des combats qui me sont chers.
Merci Martin de Lalaubie d’avoir si bien marché à ta façon dans les pas de tes parents que j’estime tant.
Merci Didier Robiliard, toi dont je me sens proche à tant d’égards. Sans toi, Terre sauvage ne serait plus à Bayard, et nous ne serions pas ensemble aujourd’hui.
Merci Jean-Marie Montel, car je vis quotidiennement avec toi, dans ma vie professionnelle, à quel point le scoutisme nous inspire toujours.
A vous, mes amies d’enfance, Odile, Agnès et Sidonie, je voudrais dire combien votre amitié m’est essentielle !
Amitiés nouvelles également, avec la bande de Prima Vera qui sévit à Uzés et que préside Omar Massoni.
Quelle joie de vivre avec vous dans ce territoire d’histoire et de garrigue à qui nous essayons de rendre un peu de ce qu’il nous donne.
Je salue avec une grande affection Hélène et François, et par là-même la toute jeune république autonome de Saussine.
Vous étiez trois bergers invités ce soir …
Mais les bergers montent rarement à la capitale.
Luc garde son troupeau au pied de Lussan et Robert prépare sa montée en alpage dans cette vallée de la Clarée qui m’est si chère.
Sophie Marinopoulos et Henri Trubert, parents adoptifs de cette dernière année qui m’avez ouvert bien plus que la porte d’une maison.
Au sein des Liens qui Libèrent comme des Pâtes au beurre, vous conjuguez ces notions d’écologie intégrale, de la culture de la terre à celle de l’esprit.
Bernard et Nüriel Chevilliat, dont la profondeur des engagements n’a d’égal que votre humilité.
Edouard Chaulet, instituteur, poète, Maire de Barjac, épicentre du combat pour les cantines bios, contre l’exploitation des gaz de schistes, épicentre de l’amour de Ferrat et de la chanson française
Et enfin toi, Pascale, si belle incarnation de la joie et du militantisme avec qui nous avons initié le mouvement « Osons demain » qui désormais nous entraîne bien plus loin.
Je termine avec quelques mots sur ma famille.
Mon goût pour une écologie du quotidien, faite de gestes qui protègent ou de regards qui s’émeuvent devant un morceau de bois, un caillou ou la rosée qui perle, je le dois à ma mère. Artiste-mère …
Mais c’est de mon père qu’est venu le sens de l’engagement et l’envie de servir.
Avec Véronique et Tanguy, ma sœur et mon frère, nous avons pu vivre dans l’univers rassurant d’un amour inconditionnel parental et fraternel, indispensable pour avoir le désir de grandir.
Une partie de ma famille est marocaine.
Véronique et Khalil savent combien mes séjours au Maroc bousculent mes certitudes occidentales et m’ouvrent à d’autres sagesses.
Ce métissage aura été une chance pour moi-même comme pour les miens.
Lorsque j’ai appris que j’allais recevoir cette distinction c’est d’abord à mes enfants que j’ai pensé.
A Arthur, qui aurait certainement commencé par m’énumérer toutes les raisons pour lesquels j’aurais du la refuser …
Son intégrité, son exigence, son sens aigu de la fragilité de la vie mais aussi de sa beauté, font partie de l’héritage qu’il m’a légué.
A Elise, qui elle s’étonne que je ne sois pas déjà décoré depuis longtemps … et qui est désormais ma grande.
Les épreuves l’ont fait grandir plus vite que nécessaire mais je me réjouis quotidiennement de la si belle qualité de notre lien.
A Lucile, qui fait à peu près ma taille mais qui se sent souvent bien petite.
A qui il a fallu que je rappelle qu’à son âge j’étais totalement paumé et qu’il n’existe d’autre chemin que celui que l’on créé en marchant, parfois à la seule lumière d’un morceau de lune …
Sa sensibilité fait d’elle un être rare.
Enfin, à Sidonie, ma puce, qui s’est réveillée en pleine nuit en Australie, de l’autre côté du monde, pour suivre ce moment par Whats app …
Elle qui a choisi l’environnement comme épine dorsale de ses études.
A chacun de nos échanges je sens sa conscience écologique aiguisée, étayée, sensible.
Nous marchons sur la même piste.
Bientôt, c’est elle qui sera devant …
Nul sentiment chez moi d’avoir réussi ce geste de transmettre dont Nathalie Sarthou Lajus parle si bien.
Chacun des parcours de mes enfants appelle ma plus grande humilité.
Il y a tant de choses qu’ils sont et que je ne suis pas, tant de chemins qu’ils ouvrent que je n’ai pas empruntés, tant de courage qu’ils ont que je n’ai pas eu à avoir.
A mes filles comme à mes filleules, à mes neveux et nièces, mais aussi à vous tous, en écho avec Saint Exupéry, je souhaite que la vie ne dévore jamais votre rêve car un homme qui réussi sa vie est un homme qui réalise son rêve d’enfant.
Je vous remercie.
EdK
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