Valeurs: plus que des ombres ?
Philippe Torreton : "Il paraît que l’on s’égare, c’est Manuel Valls qui nous le martèle comme il le fait toujours d’ailleurs, Manuel le marteleur, le Nikita Khrouchtchev de l’extrême droite socialiste. Nous nous égarons camarades, et nous nous égarons au nom de grandes valeurs, c’est lui qui le dit, mais il a raison : les grandes valeurs égarent toujours en ce sens qu’elles nous mettent hors du chemin que nous devons suivre, cet étroit chemin balisé par de cyniques esprits, ayant perdu (s’ils l’ont jamais eu) le sens du devenir commun, cette drôle de faculté qui consiste à mettre des valeurs au-dessus de tout, de ne pas transiger avec ce qui fait le socle de notre République."
Oui, les grandes valeurs nous font perdre ces routes tracées par des âmes soumises à leurs propres ambitions, prisonnières de revanches sèches et infécondes, complices de stratégies électorales indignes, les grandes valeurs nous éloignent de la petitesse de ces médiocres esprits qui nous gouvernent depuis trop longtemps maintenant. Les grandes valeurs relèvent les fronts et font chanter sous la mitraille, elles ouvrent les mains et les portes sous l’oppression occupante, elles aident à faire franchir les cols pyrénéens aux « réfugiés » ou « migrants » espagnols, choisissez le terme qui vous convient Monsieur Valls.
Les Français, et quand je dis Français je parle de tous les Français sans exception, car à cause de vous nous allons devoir préciser, lorsque le terme Français sera utilisé, si l’on parle des Français qui n’ont que cette nationalité et donc à l’abri d’une déchéance nationale ou si l’on parle de Français binationaux qui peuvent, eux, être déchus, finalement vous avez inventé un marquage de population invisible, discret, administratif, pas besoin de fil et d’aiguille à coudre… Les Français disais-je peuvent accueillir encore, ils peuvent encore se mobiliser, ils peuvent redonner de la dignité à Calais, là où votre gouvernement se déshonore et se parjure chaque jour qui passe.
Avez-vous aidé les Français à être accueillants ? Non, au contraire, vous avez choisi le déshonneur en appelant les pays européens, le Bataclan encore fumant, à réduire drastiquement les quotas de réfugiés reprenant à votre compte les thèses de Madame Le Pen en la matière. Ôtez-moi d’un doute, si l’on apprenait qu’un des kamikazes est arrivé en France à cheval, iriez-vous jusqu’à faire abattre tous les équidés d’Europe ? Vous avez choisi le déshonneur car vous avez délibérément décidé de nous faire penser qu’il y a un lien direct entre ces flots de réfugiés et le terrorisme qui nous frappe, vous avez en toute conscience choisi de jeter la suspicion sur chaque visage fuyant la guerre et espérant la paix chez nous.
Oui vraiment, vive les grandes valeurs qui nous égarent de cette basse besogne politique.
Avez-vous aidé les Français à maintenir un tissage humain là où la France peine à vivre ensemble ? La réponse est non, au contraire, vous avez enterré, par exemple, la promesse électorale du candidat Hollande de mettre en place le droit de vote des étrangers extra-communautaires aux élections locales, ce combat méritait d’être mené, vous avez choisi en toute conscience de le refuser au nom de cet argument fallacieux que les Français n’étaient « pas prêts ». S’il n’y avait eu que des comme vous Monsieur le premier ministre, il n’y aurait jamais eu d’avancées sociales car l’ordre établi n’est jamais prêt pour le progrès social. La réponse est non car vous continuez à regarder la politique culturelle devenir chaque jour moins ambitieuse, à ne pas vouloir dire clairement que la culture est l’arme absolue du vivre-ensemble, chaque jour les desiderata d’élus locaux prennent le pas sur l’ambition culturelle d’État, les festivals ont de plus en plus de mal, beaucoup jettent l’éponge paupérisant à chaque fermeture le monde et la diversité artistique de notre pays jadis si volontaire, et vous n’avez que de faibles mots, balancés entre deux montées de marches au Festival de Cannes, pour regretter une baisse de budget décidée par un gouvernement dont vous faisiez partie en tant que ministre de l’Intérieur.
Ces grandes valeurs qui nous égarent demandent du courage tandis que votre politique ne nécessite qu’un doigt mouillé pour sentir d’où vient le vent réactionnaire et ainsi faire sécher vos chemises trempées par vos discours pompiers.
Ces grandes valeurs, nous les avons toujours en nous, mais vous travaillez chaque jour qui passe à ridiculiser l’engagement politique, la constance des luttes syndicales, la quête d’idéal, car vous n’avez pas besoin de citoyens éclairés, vous n’espérez de nous que souplesse, pragmatisme, sacrifice et obéissance à cet autre martelage : « Il n’y a qu’une seule politique possible. » Finalement, l’état d’urgence est le statut politique qui convient le mieux à votre idéal démocratique.
Nous allons nous battre, nous autres les « égarés », car notre espoir est grand, nos valeurs sont grandes… Notre Espoir, cela pourrait être le nom de notre rassemblement, le nom de ce déclic salutaire du peuple de gauche car la traduction française de Podemos n’est toujours pas au point et tarde à venir. Vous regardez à droite ? Continuez, surtout continuez et continuez de piétiner cette « gauche aux grandes valeurs », continuez à ironiser lors de vos dîners en ville avec le Paris qui s’optimise fiscalement sur cette gauche militante qui s’obstine à ne pas voir que « les temps ont changé », qui persiste à croire que le travail est un bien trop précieux pour le laisser entre les mains de chefs d’entreprise adossés à la finance internationale, qui s’obstine à penser que les riches doivent payer plus d’impôts, qui refuse de laisser l’argent de son labeur entre les mains d’appareils bancaires entretenant le grand casino de la finance vassalisante et suicidaire, cette gauche qui persiste à penser que chacun a vocation à s’intégrer, cette gauche qui place la culture bien plus haut que tous vos petits bras mis bout à bout, cette gauche que vous avez courtisée pour accéder au pouvoir et qui a fait pour la dernière fois, enfin je l’espère, son docile travail de vote républicain que vous comptez nous resservir.
Maintenant, en ce qui me concerne et au nom de mon égarement pour de grandes valeurs, je considère le Parti socialiste politiquement mort.
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