Journée du souvenir de la déportation




Barjac fut terre d'asile pour une petite colonie de déportés, internés, résistants et patriotes. Georges Marquand fut le premier à s'installer. Prisonnier en Allemagne en 14/18, déporté en 43, il fit l'article de notre village dans la revue de la FNDIRP (Fédération Nationale des Déportés Internés Résistants et Patriotes). La cérémonie à la mémoire de la déportation est toujours partie toutes les fin d'avril de son domicile, Rue du Docteur Chevalier, qu'il décorait de photos, affiches, objets de souvenirs. Maurice Le Berre et Simone s'installèrent à Trédoul. Passablement affaibli par les mauvais traitements, Maurice décéda assez tôt. C'était le premier résistant de la lutte armée en France, celui qui procura l'arme avec laquelle le colonel Fabien abattit un officier en plein jour dans le métro Barbès, arme qu'il s'était procurée par des attentats que les nazis avaient cachés. Simone, belle sœur de Roger Payen, auteur du tableau trônant dans la salle du conseil municipal, un hommage au temps de vivre gagné par le front populaire survécu longtemps, farouchement indépendante. Vint ensuite Jean Ricoux, interné au camp de Gurs puis déporté à Buchenwald pendant 25 ans après sa retraite, il finança de ses deniers le comité d'entreprise d'Alstom son entreprise pour qu'une exposition ait lieu chaque année. Il était un des rares rescapés des commandos DORA. Son expertise en mécanique générale avait été requise pour la fabrication des V1. Jacqueline Fauquet, déportée à Ravensbruck, pour faits de résistance avec son mari dans la région de Chartres, ont vécu Rue du Général de Gaulle. Mireille Kirchner, rescapée des marches de la mort, tint à recevoir la Légion d'honneur à Barjac... Jacqueline Talouarn, déportée à Ravensbruck , qui vécut un tragique amour avec Jean Le Galeu retenu comme otage politique puis déporté, avant de s’éprendre de Jean Talouarn, mon adjoint, mon ami et d'avoir le bonheur d'un fils. Elle mena un combat pathétique, inlassable, bouleversant pour faire connaître à la jeunesse la réalité du nazisme, de la résistance et des jours "heureux" de la Libération où l'on pleurait et riait en même temps... Je l'ai invitée dans ma classe pour qu'elle fasse récit de ce qu'elle avait vécu et enduré, de ce qu'elle proposait comme explication. Jamais élèves ne furent plus attentifs; après une heure d'audition la sonnerie de la cantine retentit, les élèves qui d'ordinaire se ruaient ne bronchèrent pas. Une heure de plus s'écoula à entendre cette voix chargée d'émotion, de colère et d’espoir. C'est un des plus beau moment de ma carrière. Bruno Ruiz avait connaissance des Talouarn, chez qui il était hébergé pendant le festival de la chanson. Il donna son cœur à ce couple extraordinaire et vint de Toulouse rendre un hommage merveilleux à Jacquie et à Jean lors de leurs obsèques. Parlant des femmes de Ravensbruck, il dira de ces survivantes qu'elles étaient des "jardinières de mémoire". Tous ces déportés et résistants étaient mes camarades. Jean Ferrat le savait, lui qui avait perdu son père à Auschwitz et qu'un paysan communiste et résistant avait sauvé. Cette mémoire n'était pas pour rien dans notre amitié et il fut bouleversé quand je lui ai présenté Jacqueline. Il m'offrit un livre sur la déportation pour la bibliothèque municipale... Lui aussi, il "jardinait" ce souvenir. Il aurait "twisté les mots pour qu'un jour les enfants sachent qui ils étaient." (chanson Nuit et Brouillard)
Les grandes toiles d'Anselm Kiefer ont souvent exprimé la tragédie d'Allemagne où le destin du 20ème siècle saignera toujours dans ces lieux qui sifflent et soufflent par des syllabes terribles  une affreuse chanson :Auschwitz, Buchenwald, Mathausen, Bergen Belsen, Dachau, Ravensbruck...
Recevant le ministre de la culture Donnedieu de Vabre, Anselm avait eu la gentillesse de m'inviter. Cette complicité, pensait il, pouvait bénéficier à Barjac. Me voyant arriver avec un dossier à la main, le ministre assez narquois me lança
 "Vous ne pouvez être que le maire, vous allez me présenter un dossier pour quelques subventions".
 Et bien non, lui répondis je, je ne vous demande pas un sou, je sais que votre grand père était juge au tribunal de Nuremberg; je trouve le lieu chez Anselm mon ami Allemand et Barjacois d'honneur tout à fait indiqué pour solliciter en faveur de Jacqueline Talouarn qu'elle soit élevée au rang d'officier de la Légion d'honneur. "
Quelques semaines après, le ministre avait tenu sa promesse. Toutefois Jacqueline refusa la promotion. Elle ne voulait pas être dissociée de sa sœur de déportation, Josette Roucaute, d'Alès. Je dus écrire au ministre pour lui expliquer la situation. Peu après, Josette devenait elle aussi officier de la Légion d’honneur....
C'est à la "Lisette, sur le grand podium qu'eut lieu la cérémonie en présence du sous préfet Stéphane Guyon.
Une fois de plus, la musique de Barjac fit sonner le "Chant des Marais": "Oh terre de détresse nous devons sans cesse piocher... Oh terre d'allégresse où nous pourrons sans cesse aimer."
Demain pour la première fois, à cause d'un exterminateur viral, la journée du souvenir ne pourra pas être l'objet d'une manifestation. J'irai dans la cour de l'école publique malgré tout déposer un bouquet à Jacqueline. J'ai l'âge de cette liberté, de cette paix, de cette sécurité sociale que ces gens de courage et d'honneur nous ont gagnées et ne suis pas un ingrat.
Avec la cour Jacqueline Talouarn, la Grand rue Jean Moulin, la rue Louis Ferry, la place Marcel Paul, la place du 8 Mai, le rue du Général de Gaulle, la place de la Liberté, l’Avenue Raoul Heyraud, la place Joseph Comte, Barjac n'a pas une mémoire qui "chante en sourdine" .
"Ni haine ni oubli" comme ils disaient.

Commentaires

Unknown a dit…
Merci pour ce magnifique texte, bel hommage aux faces lumineuses bien que parfois mélancoliques de nos héros républicains, et nos "jardinières de mémoire".
Merci M. le Maire de nous rappeler avec tant de précision ces vies, ces destins, ces courages et cette fidélité des mémoires.
Un barjacois depuis peu.
K. a dit…
Un bien joli texte pour accompagner le souvenir. Merci M. le maire